Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960
Le témoignage de Patrick Christen
JE SUIS UN SURVIVANT
Le 29 février 1960, j'avais 6 ans, mon père était
dans la Marine Nationale et ma mère Madame Mindren, Solange,
travaillait au "SAI" à Agadir. Toutes les images de cette terrible
catastrophe me sont restées à jamais figées dans
ma mémoire.
La veille de ce séisme, déjà nous avions ressenti
quelques secousses telluriques de faible intensité mais n'avons
apporté que peu d'importance à ces faits. A l'époque
j'allais à l'école Sainte Croix d'Agadir et nous préparions
pour ce 29 février 1960, je me rappelle, une fête de
l'école pour laquelle nous devions nous déguiser en
chinois. J'avais préparé et déposé dans
ma chambre, sur un cintre ce beau costume que je ne voulais pas froisser.
J'avais hâte de revêtir cet ensemble pour l'occasion.
A l'époque nous habitions à "Founti" en face du port.
Nous avions une maison de quatre pièces ainsi qu'un jardin
attenant, l'ensemble accroché aux parois naturelles de la Casbah.
Ma grand-mère Germaine Mindren ayant le pressentiment que quelque
chose allait arriver nous dit de laisser les portes intérieures
de la maison ouvertes. La journée du 29 février 1960
étant prévue longue et fastidieuse nous décidâmes
de nous coucher vers les 22 heures 00.
Mon père étant absent, je dormais toutes les nuits avec
ma mère. Vers 23 heures 45, un grondement soudain, tel un orage,
retentit puis une violente secousse déplaça notre lit
au fond de la pièce, j'étais terrorisé; une seconde
secousse me cloua pétrifié dans le lit. Je vis les murs
de la maison s'écrouler comme dans un jeu de cartes; puis le
plafond s'écroula sur nous. Je pense que nous avons été
assommés par les gravats car je ne me souviens pas si nous
sommes restés longtemps sous les décombres. Nous étions
emmurés mais bien vivants, mon grand-père et ma grand-mère
qui avaient réussi à s'extirper tant bien que mal des
gravats ont mis une heure environ a enlever une à une les pierres
qui nous ensevelissaient. Ils avaient les mains en sang lorsque nous
sommes sortis des décombres.
Comme première vision, on ne distingue rien car la ville tout
entière est dans la pénombre. On distingue seulement
des lueurs de bougies, de lampe a pétrole balayer les ruines.
Des cris d'agonie et de douleurs s'élèvent de part et
d'autre de la ville. Nous étions ma mère et moi hébétés,
l'air hagard, ma mère était blessée à
la tête mais sans gravité et moi j'avais pour toute blessure
un oeil au beurre noir. Nous étions habillés de notre
simple nudité mais cela ne nous choquait pas. Nous nous sommes
assis sur le trottoir, dans la rue et face à notre maison,
enfin ce qu'il en restait. J'ai vu ma grand-mère revenir de
la maison qui se trouvait à côté, elle avait dans
ses bras un bébé qui était mort apparemment,
c'était l'enfant de nos voisins. Ils étaient morts également.
J'ai vu passé une Fatma qui titubait devant nous, quand elle
s'est retournée; il lui manquait toute une partie du dos et
elle s'est affaissée.
Peu à peu on s'est organisé, la vie a repris son cours,
pendant une année nous avons logé dans une tente de
la Croix Rouge Française; par peur sans doute d'un nouveau
cataclysme. Pendant plusieurs années j'ai ensuite été
soigné pour somnambulisme, toutes les nuits je sortais de ma
chambre puis de la maison et j'allais m'installer confortablement
pour dormir dans les voitures qui étaient stationnées
le long du boulevard.
On peut dire que toute notre famille a eu beaucoup de chance ce 29
février 1960; nous avons été les rescapés
d'un terrible séisme qui causa la mort de près de 15000
personnes.
Patrick Christen