Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage de Jean Le Rouzic

Quelques souvenirs du séisme et de l’après séisme

Dès que la route a été suffisamment dégagée des décombres divers le mardi 1er mars, je me suis rendu au port d'Agadir pour voir ce qu'il advenait des bateaux que j'avais en gérance. Passant à hauteur de Founti près des chantiers ACAS, j'aperçus les ruines fumantes du Djeilan un yacht de 17,50 mètres dont j'avais été le propriétaire dans les années 50 et que j'avais habité pendant deux ans et demi. Le nouveau propriétaire de ce bateau avait chargé les chantiers ACAS de le rénover totalement pour en faire un yacht moderne.

Si j'évoque actuellement cet épisode banal du séisme, c'est que ce bateau avait une histoire particulièrement tragique qui à refait surface en l'an 2000 grâce à la parution d'un livre de Madame Marie Cécile de Tailhac : " Marga, Comtesse de Palmyre ". (1)

Cette dame, Marga d'Andurain, aventurière célèbre des années 30, au passé très tourmenté fut en effet assassinée en 1948, à bord du Djeilan dont elle était propriétaire par son skipper, un déserteur allemand au passeport suisse. Son cadavre fut jeté à la mer dans le détroit de Gibraltar. Un procès spectaculaire s'ensuivit au tribunal de Tanger où fut reconstituée la partie haute du bateau. Les motifs réels du crime resteront sans doute définitivement inexpliqués.

De passage à Agadir en 1962, j'étais invité à une diffa d'armateurs d'Agadir et j'étais le voisin de table d'un patron de pêche réputé de ce port qui me dit tout à coup : " Est-ce que tu veux savoir qui à brûlé ton bateau ? " Tu sais, lui répondis-je ce n'était plus mon bateau, je l'avais vendu mais raconte ça m'intéresse quand même !

Eh bien! C'est moi : "  J'étais en mer la nuit du séisme. Dès que j'ai été informé par radio j'ai fait route toute sur le port et vers Founti où habitait toute ma famille. J'ai découvert le village totalement détruit, sans électricité. J'entendais crier sous les ruines ; mais à mains nues dans cet amas de pierres et de terre j'étais impuissant. J'ai eu l'idée de foncer vers la Base aéronavale, à travers les décombres, avec ma voiture, d'où j'ai ramené quelques marins avec des pelles et des pioches, mais on n'y voyait rien. C'est alors que j'ai avisé le Djeilan à 70 mètres environ de chez moi. Heureusement une échelle permettait d'accéder au pont. J'ai allumé une torche et mis le feu au bateau. Au sec depuis deux ans et tout en bois il a flambé très vite, éclairant le douar presque jusqu'au matin, nous permettant de sauver toute ma famille. "

Il était ému aux larmes, à cette occasion. Moi aussi ! Et j'étais particulièrement heureux d'apprendre que ce yacht qui avait eu une destinée tragique, avait ainsi en disparaissant sauvé de braves gens de la mort et effacé sa souillure.

1er mars 1960

Au cours de cette visite au port, après avoir constaté que mon ami Docithe Charlot Maître de port et responsable du slipway avait réussi à s’extraire des ruines de l’immeuble des TP du port, comme il avait échappé aux griffes des Japonais dont il était prisonnier en Indochine.

J’ai encore le film en 8mm où on le voit sur le tas de ruines cherchant ses papiers enfouis.

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L'immeuble des TP du Port
(Source Michel Granger)


Docithe Charlot sur les ruines
(Source Jean Le Rouzic d'après film 8mm)

De là je descends la cale de halage cherchant le chalutier espagnol qui y était encore en travaux le veille occupant le grand ber sur rail. Il n’y était plus. Ce bateau m’intéressant particulièrement car à la suite de son échouement sur la barre de sable à l’entrée du port j’étais intervenu, bénévolement, comme interprète, à la demande du Commissaire d’avaries, entre les chantiers, l’expert maritime et le capitaine, pour réparation des avaries : perte du gouvernail et rupture du talon de quille.

Cherchant une explication, à cette disparition, je descends la cale en pente jusqu’à la butée de bois, et je vois que le chariot-ber a franchi cette butée et qu’il gît au fond de l’eau bien visible mais pas de trace du bateau.

Je ne devais avoir la clef de l’énigme qu’en janvier 1961 au Ghana. J’étais embarqué, à titre d’observateur, sur un gros thonier américain de la Starkist Food le Freedom au port de Takoradi, lorsque dans la nuit un autre thonier de la même compagnie le  May Queen est venu s’amarrer à couple.

La nuit était très chaude je ne pouvais dormir et j’étais accoudé au plat bord dans la coursive lorsque j’entends une conversation en espagnol entre un marin du Freedom et un autre du May Queen. Entendant parler d’Agadir, je fus plus attentif. Ce dernier racontait en effet à son compatriote, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, comment il avait échappé au tremblement de terre, sans épargner aucun détail.

Il logeait à bord comme le capitaine et tout l’équipage, malgré l’incommodité d’un bateau au sec. (À cette époque aucun armateur ni assureur espagnol n’aurait payé l’hôtel à l’équipage qui ne s’y attendait d’ailleurs pas.)

Tout à coup peu avant minuit une forte secousse et un bruit énorme. Branle-bas à bord. Tous sur le pont sentant que le bateau flotte. Autour ce n’est que poussière, fumée, et nuit totale. Le capitaine constatant que le navire dérive demande au chef mécanicien de mettre le moteur en route. Il cherche à comprendre la situation, ne pense pas à un tremblement de terre, mais devant la situation décide de sortir du port gouvernant habilement à l’aide de son treuil de pêche et de ses panneaux de chalut affalés à la mer et virés ou choqués alternativement. Tout est éteint dans le port et il aperçoit des feux à travers la poussière sur la ville. Comme il peut naviguer, même s’il s’agit d’une navigation erratique qu’on améliore peu à peu, il décide de rentrer en Andalousie sans gouvernail. Le lendemain matin il est au cap Cantin et lors d’une émission radio il apprend que la ville d’Agadir a été détruite et qu’il doit au séisme d’avoir été projeté à la mer, en raison du mini raz de marée et de la secousse qui a rompu le croc du palan de retenue.

Mercredi 2 mars

Dans la matinée je retourne au port car on a annoncé la venue au secours d'Agadir de l'Escadre française en escale aux Canaries. Or mon beau-frère Michel Le Gall est à bord du porte-avions Lafayette qui fait route sur Agadir; et comme il connaît la ville et qu'il y a de la famille il est très probable qu'il sera désigné pour faire partie de l'équipe des secours.

Le croiseur Colbert arrive le premier sur la rade. Une vedette s'en détache et en raison du mauvais état des quais, vient spontanément (je ne me souviens pas l'y avoir aidée) accoster le ponton flottant du port de plaisance. Ce point est d'ailleurs le plus proche de la ville. Je me présente au Lieutenant de vaisseau qui commande le détachement et lui fais un rapide résumé de la situation. À votre avis, me dit-il que faut-il comme outillage ? " Comme vous n'avez pas de grues mobiles à bord ce qui manque le plus ici; prenez des pelles, pioches, barres à mines, grosses cisailles, palans." Immédiatement le radio du détachement transmet le message aux navires de l’Escadre.

Peu de temps après mon beau-frère arrive à son tour. Dans un réflexe incontrôlé révélateur de l'ambiance d'irréel dans laquelle nous vivions ces jours là je me surprends à lui dire " Tu viendras dîner à la maison ? " J'oubliais tout simplement que la ville était interdite ainsi que notre maison et nous étions déjà les hôtes de la Base aéronavale.

Je ne devais plus revoir ce lieutenant mais je pus constater l'efficacité de ces marins venus nous secourir.

Jean Le Rouzic, décembre 2000

Gérant d'armement à la pêche

(1) Marie-Cécile de Taillac, Marga, Comtesse de Palmyre, Belfond, 1999.
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