Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960
Le témoignage de Albert Domens
Agadir, l'approvisionnement en produits pétroliers.
Mohammedia 1er mars 1960. Il est environ deux heures du matin. La sonnerie
du téléphone me réveille en sursaut.
C'est l'appel téléphonique de la direction de la Mobil
Oil à Casablanca qui me demande d'aller à Agadir car des
bruits persistants laissent supposer que cette ville à subi des
dégâts à la suite d'un séisme. Connaissant
les installations pétrolières de ma société
dans cette ville, je quitte Mohammedia vers 6 heures du matin.
Je traverse les villes de Casablanca et El Jadida sans encombre. En
sortant de Safi je croise plusieurs voitures, tout paraît calme.
Par contre au croisement des routes vers Safi et le sud la circulation
est plus dense. Un peu plus au sud une colonne composée de véhicules
est ininterrompue et roule à faible allure vers le nord. À
telle enseigne que je reconnais le visage de pas mal d'amis exprimant
l'inquiétude, la souffrance, et même le désespoir.
Où vas-tu Albert ? Agadir n'existe plus. Fais demi-tour l'épidémie
va s'étendre sur la ville. Il y a des milliers de morts. Le séisme
a engendré un tel brouillard que la casbah est difficilement
visible.
Fuir, fuir toujours plus loin et plus vite de peur que les éléments
déchaînés ne rattrapent les rescapés. Tel
est leur objectif.
Toutes ces expressions me rendent très triste et j'imagine déjà
l'amplitude du désastre.
Continuant ma route à allure modeste, et troublé par leurs
visages aussi qui me confirment la vision que leur a laissée
cette petite ville où ils ont vécu et où reposent
tant des leurs dans le petit cimetière de Yachech hélas
enfoui sous un pan de la colline proche. Je poursuis ma route à
nouveau.
J'échange quelques mots avec d'autres personnes connues. J'appréhende
de me retrouver dans Agadir ville morte.
À l'approche du cap Ghir rien ne laisse encore imaginer le désastre
et l'anéantissement annoncés.
À hauteur d'Anza, où se situent les installations pétrolières
de la Mobil Oil, je me dirige vers le port. Un brusque coup de frein
me permet d'éviter une lézarde latérale importante
traversant la route. Ce n'est qu'en constituant un pont fait de madriers
que d'autres personnes et moi-même pourrons franchir cet obstacle.
(Source Jean Le Rouzic d'après film 8mm )
Je me rends sur le quai et constate le délabrement de la partie
réservée à l'accostage des pétroliers.
Le crépuscule envahit la ville, et dans cet environnement, pas
de ciel constellé d'étoiles, plus d'immensité océane
noyée elle aussi dans la brume, plus de feux de phares ou balises,
et encore moins d'éclairage de ville laissant deviner la direction
des principales artères.
Très triste je retourne à Anza. Deux de mes collègues
me rejoignent. Après un léger repas nous décidons
de sommeiller à une distance respectable des installations pétrolières
dans nos voitures respectives (des 403 Peugeot).
Au lever du jour une curieuse surprise nous attend: le pare-brise de
l'un des véhicules a explosé... Très tôt
une chaleur clémente envahit la région.
N'ayant pas d'autorisation de traverser la ville détruite, il
m'est très difficile de convaincre les soldats de l'Armée
Royale de me délivrer un laisser-passer pour me rendre du nord
au sud de la ville (les dunes), où se situe le P.C. de son excellence
le gouverneur Si Bouamrani.
Après avoir obtenu satisfaction, je retourne rapidement à
Anza non sans être abondamment saupoudré de DTT.
Les installations ont-elles souffert du séisme ?
L'arrivée en renfort d'excellents techniciens de la Mobil Oil,
équipés du matériel approprié sera prépondérante
et nous permettra de vérifier rapidement l'état du pipeline
reliant le port à Anza (3 km environ dont les deux tiers enterrés).
Un tanker de moyen tonnage venant de Sète et chargé de
divers carburants et spécialement d'essence auto est annoncé
pour le 6 mars.
Il est nécessaire d'activer la mise en pression de ce pipe-line
afin de s'assurer de son étanchéité. Après
plusieurs essais, le Gouverneur est informé du résultat
positif de nos vérifications et nous lui confirmons pouvoir utiliser
les installations.
Dès le 6 mars afin d'accélérer les opérations
de réception du navire, je demande la possibilité de prévoir
le détachement d'une vedette d'un escorteur mouillé en
rade, afin que cela me permettre ainsi qu'à d'autres personnes
d'aller à la rencontre du pétrolier; ce qui fut fait.
Une heure après nous étions à bord du tanker. Son
commandant nous réserva un accueil chaleureux.
Au cours de la réunion tenue très rapidement, et chacun
pour ce qui le concerne (représentant du port, pilote, et armateur)
il fut question du franchissement de la passe, de la difficulté
d'accostage due aux blocs détachés du quai et de l'action
prépondérante du sondage permanent des fonds marins.
Après une délicate mise à poste les opérations
de déchargement débutèrent à une moyenne
de pompage réduite puis accélérée, pour
s'achever quelques heures après.
Il fut ainsi évité une rupture de stock imminente
(1)
qui aurait été préjudiciable pendant ces dramatiques
journées; cela à la grande satisfaction des utilisateurs
de véhicules et autres engins, qu'ils soient d'Agadir et plus
généralement de la région du Souss.
Albert Domens,
Superintendant à la Mobil Oil à Agadir de 1950 à
1958
À Oloron Sainte Marie, août 2001
(1) D'autant plus que l'entrepôt de
l'Armée de terre proche du cimetière de Yachech, enfoui
sous un pan de colline, était inopérant, et que l'entrepôt
de la société Shell, sise à Anza, était
en construction.