Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960
Le témoignage de Michel Granger
Le séisme vu par Michel Granger .
Pour moi les jours qui ont précédé le tremblement
de terre ont aussi été mémorables. Tout d'abord
j'avais 14 ans, je grandissais trop rapidement, tombais souvent en
syncope et avais aussi du paludisme. Comme je manquais l'école
mon copain Alain Jeantet venait me visiter à la maison sur
le port pour me donner des nouvelles du lycée.
Les secousses telluriques précédentes étaient
des signes divins d'après Thamouh notre domestique, et dans
mon état convalescent ces évènements se trouvaient
amplifiés. La nuit je me levais souvent pour regarder par la
fenêtre de ma chambre qui regardait Talbordj. Cette nuit-la
j'ai regardé avant de m'endormir, mais à 23h45 je n'ai
pas senti le séisme. Je me suis réveillé tout
de suite après et j'ai regardé par la fenêtre,
mais plus de ciel, ni de Talbordj, ni de lumière des lampadaires.
Il n'y avait plus d'électricité dans la maison non plus.
La voix calme de mon père nous disait de descendre dans la
voiture.
Nous nous sommes embarqués et en reculant du garage le dessous
de la voiture a raclé le seuil, car le terre-plein était
une marche plus bas que l'édifice. Par peur d'un raz de marée
nous sommes allés dans les dunes sur la route du circuit automobile
qui dominait les environs. Durant la nuit nous pouvions voir les autobus
transportant des gens allongés sur les plateformes. Mon père
disait: "ils vont vers la BAN". On voyait des incendies et mon père
semblait savoir où ils se trouvaient -- probablement parce
q'il était ancien observateur dans l'artillerie. On se rendait
compte que l'espèce de brume qui nous entourait était
de la poussière de gravats et la voiture commençait
à en être couverte. Il y avait près de nous une
seule voiture avec un couple juif et sa fille adulte. Plus tard à
Casa nous avons appris qu'ils avaient perdu leur entière famille
à Talbordj, environ 400 personnes.
Au petit matin nous sommes retournés vers le port. Je voulais
m'arrêter devant l'immeuble de chez Jeantet; Papa n'a pas fait
le détour. Il s'est brièvement arrêté et
j'ai pu voir de coin qu'il n'y avait plus qu'un tas de moellons. Un
autre scout, Jame Marmain, habitait là aussi. En passant la
porte du port nous avons vu que les douaniers étaient à
leur poste. Papa est descendu de l'auto et est allé leur parler
pour qu'ils aillent chez eux.
Arrivé à la maison on a embarqué du linge comme
si nous partions faire un petit voyage. Je me suis alors rendu compte
qu l'armoire massive qui se trouvait dans la chambre des parents était
tombée sur le montant au pied du lit. L'armoire s'était
cassée dessus, mais le bois avait protégé leurs
jambes. Peu aprés il y a eu une procession de gens venant aux
nouvelles. Je me souviens en particulier des Amancio. Mme Amancio
venait faire les robes, la couture et le repassage a la maison. Son
fils José aviat mon age. Ils arrivaient de Talbordj pieds nus
et à peine vêtus. Maman a ouvert les armoires pour qu'ils
se servent. Je me souviens que 3 ou 4 filles essayaient des chaussures.
Elles sont toutes parties vers un bateau de pêche qui quittait
Agadir. M Amancio et José venaient d'être tués.
Papa est resté a la recette des douanes en bas de l'appartement
pour s'occuper des agents des douanes. Je sais qu'il a ouvert le coffre-fort
pour faire la distribution aux agents des douanes. Maman conduisait
la voiture station wagon. Nous sommes allés sur une plantation
de tomates (Ascola Latapie), où on dormait sous la tente de
plage. Les plus jeunes trouvaient ca bien le camping. Ma mère
était inquiète pour ma soeur Bernadette qui tombait
en syncope et n'avait plus de tension. Apres un ou deux jours nous
sommes allés a la BAN. Maman nous comptait sans cesse tous
les sept. Un peu plus loin M Desmarez comptait aussi ses enfants (8?)
sur le tarmac. On nous a fait rentrer dans un Nord-atlas pour parachutistes
de l'armée allemande qui nous a transportés, toute porte
ouverte, à Casa. Papa est resté à Agadir.
A Casa j'ai ensuite revu Daniel Saliba, qui m'a raconté comment
son frère Pierre, coincé sous les moellons, et lui essayaient
de pousser les décombres jusqu'a l'épuisement de Pierre.
Les parents Saliba aussi avaient été tués. J'ai
aussi appris que dans ma classe de 4e technique au Lycée Youssef
ben Tachefin il y avait peu de survivants, car les élèves
venaient pour la plupart de Talbordj.
Note: Mon père Robert Granger a été nommé
receveur des douanes d'Agadir début 1949 à l'âge
de 32 ans. Il a probablement été nommé plarce
qu'il était détaché de France et ancien officier,
la zone d'Agadir étant alors zone militaire. Les Nantais qui,
comme les parents, avaient connu la guerre et les effets des bombardements
15 ans plus tôt ont mieux tenu le coup que d'autres. Sur 8 enfants,
5 sont nés à Agadir. Pour nous les jeunes, ça
a pris du temps pour récupérer.