Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage de Michel Duhem

Nous sommes arrivés à Agadir en 1950

J'avais 13 ans le 29 février 1960, j'en ai aujourd'hui 54, et nous habitions sur la rive droite du ravin de Tildi, entre les deux ponts, dans le quartier que l'on appelait le square Briand, parfois nommé le quartier des travaux publics.

Nos voisins à cette date s'appelaient Rimbaud, Clochau, Grosjean, Fuzet, Chicou, et j'en oublie quelques-uns. Mon frère Jean-Philippe et moi étions au lycée Youssef ben Tachefin en classe de 5e, mon frère Bertrand à l'école Bosc en classe de CE2 classe de M. Pezzano et mon frère Hervé chez les sœurs à l'école Sainte-Croix.

Nous menions une vie heureuse et paisible, partagée entre le lycée, de nombreux amis, la vie de la paroisse Sainte-Croix, la piscine et les plages de la côte (l'Ombrine, la madrague, Tarhazout, les grottes, le Km 38, le cap Rirh, l'embouchure de l'oued Sous).

Le ravin de Tildi était le lieu privilégié de nos jeux d'enfants. Il était à la fois raccourci, lieu de passage à pied vers la ville nouvelle, mais aussi, zone de non droit, creuset de toutes nos peurs d'enfants, nous n'y descendions jamais seuls et armés de « tirboulettes » où de carabines à air comprimé. Il y avait une grotte dans ce ravin, « La grotte du nain » (c'est le premier lieu que je sois allé visiter lors de mon pélerinage à Agadir, elle y est toujours, mais elle n'est plus habitée).

Le 23 février 1960 vers 12h 15 j'étais à la maison dans la chambre de maman qui était alitée, elle attendait un bébé, lorsqu'un grondement sourd se fit entendre, accompagné de vibrations et de grincements. Le phénomène fut à la fois remarqué et banalisé, comme s'il s'agissait d'un événement naturel, curieux, mais sans importance. Chacun y allait de ses commentaires.

Le 29 février à 11h 45 j'étais en vélo dans la descente entre le « Tout va bien » et le pont de Tildi lorsqu'une secousse identique se produisit. Elle suscita les mêmes conversations et échanges d'anecdotes entre nous, mais rien de plus. Nous nous sommes couchés ce soir comme tous les soirs.

Nos parents étaient invités ce soir là à dîner en ville avec M. et Mme Jeudy. Maman qui était enceinte et fatiguée avait décliné l'invitation, et proposé à Madame Jeudy de faire appel à Nadine Rouillon pour garder leur fils Pierre à l'hôtel SAADA où ils résidaient.

C'est un bruit terrible qui m'a réveillé, j'ai su par la suite qu'il était 23h 40.

L'hôtel Saada
(source Michel Duhem)

Bloqué mais protégé sous ma couverture par l'étagère qui était fixée au-dessus de mon lit, couvert d'une épaisse couche de cailloux et de plâtre, j'ai entendu mon frère Jean-philippe dans une situation identique. Nous nous sommes rapidement dégagés tout seuls et dirigés vers la fenêtre qui donnait dans le jardin. Mon père y était et nous appelait. Nous avons sauté sur l'herbe, et rejoint nos parents. Nos frères Bertrand et Hervé appelaient mais ne pouvaient pas sortir, coincés dans leur chambre. Mon père est retourné dans la maison par la fenêtre et revenu quelques longues minutes après avec eux. Leur porte était bloquée, mais il n'y avait plus de mur, il suffisait donc de la contourner. Nous nous sommes trouvés tous les 6 vivants et indemnes sur le bord du ravin de Tildi. Le sol frémissait encore par à-coups et l'immeuble Brise-marine de l'autre côté du ravin, achevait de s ‘effondrer, puis, de la poussière, un long silence, et des voix d'hommes qui dans la nuit noire appelaient en vain au secours. 40 ans après, ces cris résonnent encore dans ma tête.

L'immeuble Brise-Marine
(source Michel Duhem)

Quelques minutes plus tard se fut derrière nous au-dessus du pont de Tildi et au pied du plateau administratif le tour d'une grosse villa de s'effondrer (je crois que c'était celle de mon copain Cotte dont le père travaillait à la météo) Les appels au secours en provenance de l'immeuble Brise marine se poursuivaient. C'est à ce moment que nous avons rencontré M. et Mme Fuzet nos voisins mitoyens. Leurs deux enfants Jean-Luc et sa petite sœur étaient restés prisonniers de leur chambre. Mon père est allé tenter de les aider, mais que faire avec ses mains et dans la nuit, d'une dalle de béton cassée au sol. Nous avons appris par la suite que Jean-Luc avait été blessé, mais que sa petite sœur avait perdu la vie.

Mon Père est ensuite retourné vers la maison, il en est revenu avec quelques couvertures et sacs de couchage en nous disant « la maison est foutue » c'est étonnant, mais il me semblait qu'il exagérait et que tout rentrerait dans l'ordre avec le lever du jour.

Les appels au secours de l'immeuble Brise Marine s'étaient éteints, faisant place au balai des voitures dont on voyait les phares.

La station service près du pont de Tildi (celle qu'on appelait la SMPP) avait pris feu et les immenses flammes rougeoyantes éclairaient le quartier pendant que l'on entendait au loin exploser les bouteilles de gaz de la droguerie Chambert qui brûlait, elle aussi.

Nous n'avions pas de voiture, elle était au garage pour révision. Nous avons donc attendu sur place le lever du jour.

Françoise Aléon, Christian Vandenberg, André Berthier, madame Egré et bien d'autres amis sont passés au petit matin prendre et donner les bonnes et les mauvaises nouvelles.

D'autres ont raconté beaucoup mieux que moi les jours qui ont suivi.

Merci à Willy CAPPE pour son superbe livre.

Michel Duhem Gadiri de 1950 à 1960