Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage de Brigitte Le Hyaric

Je viens seulement de prendre connaissance de ce site.
En parlant d’année bissextile avec des collègues, ils ne connaissaient pas cette date : la nuit du 29/02 au 01/03/1960 est pour moi celle du tremblement de terre d’Agadir, puisque j’y étais !
J’avais 6 ans 1/2, et nous étions juste en vacances (c’est pourquoi j’ai longtemps gardé mes livres de classe ! puisqu’on les avait ramenés dans nos cartables). Mon père était pilote de l’Aéronavale, et cette nuit-là, il était de vol de nuit, et venait juste de rentrer à la maison. J’étais inquiète et je ne voulais pas fermer la porte de ma chambre.
Et puis tout a tremblé, et je n’arrivais pas à me relever, et tout est devenu noir. C’est parce que tout le mur de ma chambre s’était écroulé sur moi. Notre père a réussi à sortir mes frères et ma mère, puis il est revenu pour m’extraire des gravats, par ses propres moyens.
J’étais sauve, avec des blessures sans gravité. Immédiatement, mon père est allée en face chez nos petits voisins dont les parents étaient à une soirée en ville. Mon père les a fait sortir par des trous dans les murs (car toutes les portes et tous les volets étaient bloqués. Leurs parents sont arrivés très longtemps après, très choqués de ne pas être près de leurs enfants !(en tenue de soirée, robe du soir et talons, alors que nous étions tous en petite tenue de nuit.)
Une des voisines d’à côté avait le dos en sang. Dans notre rue, (quartier des militaires de la base) une maison avait disparu sous terre, et nous sommes restés toute la nuit avec les phares des voitures pour pouvoir déblayer et arriver aux survivants : un jeune couple avec un bébé. On entendait la mère frapper sans arrêt sur une armoire qui lui était tombée dessus, et qui réclamait son bébé. Un des sauveteurs a réussi à arriver jusqu’au bébé, mais quand il a crié "il dort !" la moitié d’entre-nous a compris "il est mort"…
J’ai une amie, un peu plus âgée que moi, qui est morte assise dans son lit, une seule pierre l’a tuée (son père était de vol de nuit je crois avec le mien ce même soir). Nous avons passé le restant de la nuit dehors, avec les hommes qui essayaient de sauver les uns et les autres. La première nuit, on nous avaient mis, nous les enfants, dans des voitures à plusieurs, pour qu’on se repose… Mais on faisait surtout du chahut, car qui allait se reposer ?
Dans notre quartier il y avait trois maisons en bois, dans lesquelles nous avons passé les deux nuits suivantes (les femmes et les enfants, car les hommes (presque tous de la base aéronavale)sont allés en ville pour le sauvetage des rescapés. Mais je ne voulais plus dormir, j’avais trop peur. Je me rappelle les deux jours suivants, tous dehors, errants dans les gravats et les meubles sortis des maisons, le camion de l’armée qui est passé pour distribuer de l’eau. Et puis quand nous sommes arrivés à la base pour le rapatriement en avion, tous les blessés, tous les gens qui cherchaient leurs parents, un homme continuait à chercher son fils, alors qu’il ne voulait pas admettre qu’il était mort, etc… et le retour en avion avec les rescapés blessés, et l’arrivée en tenue d’été, en plein hiver (je crois qu’on est arrivés à Bordeaux ?).
Pendant les premiers jours les grands parents en France ne savaient pas si nous étions vivants.
Nous avons des photos que mon père avait prises, mais c'est un de mes frères qui les a. Je vais lui demander de les scanner si possible pour les faire connaître. Voilà ce que je peux dire en deux mots.